Chimirec et Trackdéchets : un partenariat fructueux

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Créé en 1957, le groupe Chimirec est spécialisé dans la collecte et le traitement des déchets industriels. Acteur majeur du marché avec une quarantaine de sites et près de 1 400 salariés, le groupe est fortement impliqué dans un vaste projet porté par le ministère de la Transition écologique, baptisé Trackdéchets. Objectif : créer une plateforme numérique pour dématérialiser et assurer la traçabilité des déchets dangereux.

Né fin 2018, Trackdéchets a débuté par une série de rencontres avec des entreprises du secteur des déchets, directement concernées par ce projet visant à dématérialiser un document jusqu’alors utilisé uniquement sous forme papier : le BSD, pour « Bordereau de Suivi des Déchets ». Parmi ces entreprises, Chimirec, qui a rapidement vu dans ce projet un grand intérêt : mettre en place à grande échelle une démarche vertueuse autour des déchets dangereux. L’entreprise a donc partagé son mode de fonctionnement, son organisation, ses contraintes et formulé ses revendications lors du développement de la plateforme, jusqu’à son récent lancement. L’utilisation des Trackdéchets est en effet devenue obligatoire le 1er juillet. Un changement qui a notamment nécessité d’importantes adaptations des outils informatiques utilisés par Chimirec, comme nous l’explique le directeur des systèmes d’information du groupe, Bruno Quily.

Techniques de l’Ingénieur : Pouvez-vous nous présenter Chimirec en quelques mots ?

Bruno Quily : Chimirec est un groupe de collecte et de traitement de déchets industriels dangereux et banals ; il exerce également une activité de collecte d’huile assez importante. L’entreprise a été fondée en 1957. Chimirec a donc presque 65 ans aujourd’hui.

Le groupe est implanté en France avec une quarantaine de sites, mais est également présent à l’international, pour un total de 1 400 collaborateurs. L’actuel président du groupe est Jean Fixot, fils du fondateur Pierre Fixot, qui a repris les rênes en 1987. Nous sommes un acteur important sur le marché, même si nous sommes encore plus petits que certains de nos concurrents comme Suez ou Veolia.

Quelle part de vos activités la gestion et la traçabilité des déchets dangereux représentent-elles ?

Si j’inclus les déchets et les huiles industrielles dangereuses, cela représente la majeure partie de notre activité. Pour les seuls déchets industriels dangereux par exemple, nous publions 500 000 BSD[1] par an pour la collecte et 50 000 pour l’élimination, pour l’ensemble des déchets que nous regroupons et acheminons vers des centres de traitement. Quant aux huiles, nous émettons environ 80 000 bons par an. Cette activité autour des déchets dangereux est importante en termes de chiffre d’affaires et de volume, mais elle l’est encore plus du point de vue des systèmes d’information.

Quelles sont les origines de Trackdéchets ? Depuis quand êtes-vous impliqués dans ce projet ?

C’est un projet que nous suivons quasiment depuis sa genèse, qui a démarré fin 2018. L’idée est née au ministère de la Transition écologique et solidaire, où il existe une sorte d’incubateur étatique de start-up, qui s’appelle l’usine numérique. Cette entité regroupe des personnes issues des différents services du ministère, qui sont chargées de lancer des projets autour de différentes thématiques. En l’occurrence, pour le thème Trackwaste, c’est un inspecteur de Dreal[2] à Niort qui s’est emparé du sujet avec la volonté de dématérialiser le BSD, que l’on ne connaissait jusqu’alors que sous le nom de Cerfa. La dernière version de ce formulaire datait de 2005… Cet inspecteur a commencé par rencontrer les entreprises concernées à l’aide du document en question. Il est bien sûr arrivé dans l’une de nos filiales, située à Poitiers. Il a demandé au directeur local, qui m’a contacté pour convenir d’un rendez-vous. Cela a été fait fin 2018, à une époque où le sujet en était encore à ses balbutiements, tant du point de vue des producteurs que des collecteurs de déchets comme nous, voire des transporteurs. Cette rencontre a été très satisfaisante, elle nous a permis de bien cerner le processus et de comprendre comment les choses allaient se passer. Le projet a continué à se dérouler au fil des mois, et nous nous sommes revus plusieurs fois jusqu’en 2020. Puis nous avons eu des entretiens au sein de « La Fabrique du Numérique », l’incubateur de services numériques du centre ministériel pour la transition énergétique. Dès le départ, nous avons jugé le projet intéressant, car il s’inscrit dans une démarche vertueuse chère à Chimirec, celle d’une meilleure traçabilité des déchets, avec, en parallèle, la volonté de qualifier les personnes extérieures au circuit de non-professionnelles. De par mon activité, tout ce qui concerne la digitalisation m’intéresse évidemment le plus. Nous avons donc soutenu le projet et rencontré nos homologues d’autres collecteurs, eux aussi proactifs.

Les différentes étapes de la publication des décrets ont alors été retardées, ce qui n’a pas été sans poser quelques difficultés… Nous avons cependant réussi à obtenir un délai de tolérance avant la mise en place définitive des Trackdéchets, afin de continuer à adapter nos systèmes d’information et résoudre certains problèmes techniques. C’était un projet assez lourd et assez gros.

Les trackdéchets sont désormais obligatoires, et ce depuis le 1er juillet. Normalement, le décret prévoyait le démarrage au 1er janvier 2022, mais donc un délai de tolérance a été accordé face aux problèmes techniques rencontrés au démarrage sur la plateforme elle-même, ou de notre part sur l’interfaçage de nos outils. Ce n’était pas qu’un simple projet informatique, loin de là.

Très concrètement, quel travail avez-vous eu à réaliser pour adapter vos systèmes d’information à cette nouvelle plateforme créée par l’État ?

Dès le début, nous avons regardé ce qui était proposé par l’équipe des Trackdéchets. Dans ce cas, deux approches sont possibles. Tout d’abord, vous pouvez travailler directement sur le portail de l’État. Mais ce n’était pas une option pour nous. Cela signifiait travailler « à gauche sur le portail » et « à droite dans notre propre outil », ce qui signifiait un double travail pour nos utilisateurs, ce qui était totalement impensable compte tenu des 500 000 BSD que nous publiions. chaque année… L’équipe Trackdéchets a mis à disposition des API[ 3], utilisées pour le développement du portail. Nous avons donc envisagé d’utiliser ces API qui nous étaient proposées et de les intégrer dans nos outils afin de pouvoir faire signer numériquement le BSD par un producteur de déchets. Tout ce que nous imprimions sur le papier Cerfa devait être intégré dans le portail numérique, afin qu’ensuite, cette information soit disponible pour les différents acteurs de la chaîne qui devaient apposer leur signature. Alors on a fait des petits pas. Dès le début, le piège auquel nous avons été confrontés a été celui de l’identification stricte du producteur de déchets. Nous n’avions plus le droit de nous tromper : une erreur SIRET sur papier pouvait être corrigée en temps voulu, alors qu’avec une solution numérique, si l’identification du producteur est erronée dès le départ, il ne peut tout simplement pas signer le document. Nous avons donc fortement insisté sur la tâche plutôt colossale de qualification de notre base de données, un processus complexe mené depuis de nombreuses années. Du côté de la collecte des déchets dangereux et des huiles, nous facturons en effet 46 000 clients par an… Cela a également entraîné des changements dans la cinématique de l’entreprise ; les informations sur le BSD désormais dématérialisé ont été enrichies.

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Qu’a impliqué ce passage au numérique pour les producteurs de déchets ?

De nombreux producteurs ont déjà bénéficié d’un de nos services qui consiste à remplir ces documents conformément à la réglementation. Pour eux, le passage au portail ne change rien. La seule complexité pour eux consistait à s’inscrire sur le portail pour procéder à la signature. Malgré beaucoup de communication de notre part avec nos clients portefeuille, mais aussi de la part de l’équipe Trackdéchets au niveau national, toute cette phase de partenariat a été problématique et a pris beaucoup de temps.

Pour nombre de nos grands clients, grands groupes et éco-organismes qui génèrent beaucoup de volumes à collecter, le sujet a été abordé de manière différente. Ils ont en effet pris l’initiative de remplir désormais eux-mêmes les BSD. Cela a créé quelques problèmes, des échanges supplémentaires et un travail de support avec notre back office. Cependant, nous ne fonctionnons à vitesse modérée que depuis environ trois mois, et les choses s’améliorent avec le temps.

La perception que les producteurs ont de ce virage numérique dépend donc de leur taille, mais aussi de leur appétence pour les outils informatiques. Tout cela est assez variable.

Les objectifs en matière de sécurisation et d’amélioration de la traçabilité des déchets ont-ils selon vous été atteints ?

Hormis la somme de travail que cela a représenté, notre ressenti est extrêmement positif ! Nous sommes maintenant dans un cercle vertueux. Les failles que le papier peut impliquer sont désormais de l’histoire ancienne. Nous travaillons également à la volée, ce qui n’était pas le cas auparavant, où nous effectuions la transmission de nos registres une fois par an.

Ce qu’il ne faut pas perdre cependant, c’est que Trackdéchets est certes la branche armée des échanges entre producteurs, collecteurs, transporteurs et centres de traitement, mais dont la finalité reste le RNDTS : le registre national des -déchets. , terres excavées et sédiments, un moyen pour l’État de garder un œil sur la traçabilité. Trackdéchets reste vraiment le système d’échange, alors que la finalité est ce RNDTS, qui devrait voir le jour au 1er janvier 2023. La volonté est vraiment de rassembler toutes les informations concernant les échanges de -déchets. C’est grâce à ce registre que l’Etat pourra notamment identifier les préjudices potentiels des professionnels qui collectent, par exemple, des déchets qu’ils n’ont pas le droit de recevoir sur leur plateforme, ou qui envoient des déchets dans des centres inadaptés. Des pratiques autrefois très difficiles à trouver. Maintenant, nous sommes vraiment dans un cercle vertueux.

Quels axes d’amélioration avez-vous éventuellement identifiés pour parfaire ce portail Trackdéchets qui vient de voir le jour ?

Le chantier des Trackdéchets est loin d’être terminé… En effet, cela concerne, outre les déchets dangereux, l’amiante, mais aussi les fluides frigorigènes ou encore les DANGERS[4], non collectés par Chimirec. Cependant, le portail n’est pas encore complet sur toutes ces fonctionnalités. Certains aspects obligatoires d’un point de vue réglementaire continuent également de mal fonctionner. De nombreuses situations nouvelles sont également nées de ce passage du papier au numérique, qui durcit et structure les échanges.

Il y a aussi des problèmes avec les API, qui ne captent pas forcément les volumes qu’on est susceptible de leur envoyer. Il y a un travail à faire sur la résilience du système : si les Trackdéchets ou nos propres outils cessent de fonctionner, le conducteur, par exemple, n’a plus accès aux documents à signer sur son smartphone…

Un certain nombre de ces points doivent donc être corrigés et nous en discutons régulièrement avec l’équipe en charge de Trackdéchets, directement ou par l’intermédiaire de nos associations professionnelles, qui délivrent nos demandes. Le sujet est loin d’être clos, pour eux comme pour nous ! Il reste encore beaucoup à faire sur la feuille de route. Cependant, je reste extrêmement positif sur la finalité de l’outil à mettre en place sur le long terme. Je le répète, c’est un grand pas en avant.

[1] Bordereau de suivi des déchets, document dont l’objet est d’assurer la traçabilité et la bonne gestion des déchets.

[2] Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement

[3] Interface de programmation d’application ou « interface de programmation d’application » : une interface logicielle qui permet de « connecter » un logiciel ou un service à un autre logiciel ou service afin d’échanger des données et des fonctionnalités. (Source : CNIL)

[4] Déchets d’activités de soins à risques infectieux